~ Start the machine

Venu des cieux, un grondement menaçant roula dans le ciel comme une avalanche sur le flanc de la montagne, et en un instant le temps passa d’une lourdeur étouffante à la fraîcheur d’une puissante pluie d’été. L’homme qui se tenait dans le couloir tourna alors la tête en direction d’une fenêtre contre laquelle s’abattait le crépitement du déluge, mais il n’arrêta pas de faire les cent pas ou de grignoter nerveusement le bout de son doigt. Il paraissait dix ans plus vieux qu’il ne l’était sûrement avec ses traits tendus par quelques mystérieux tourments. Sans cesse il jetait des regards vers une lourde porte en bois et tendait le cou vers elle comme si cela avait pu l’aider à voir au travers. L’anxiété le tuerait, cela faisait maintenant plus de trois heures qu’il rongeait son frein sans que personne ne daigne venir le tenir au courant de ce qui se passait là-dedans ! Mais un cri retentit soudain de l’autre côté des battants et son corps se tendit alors comme un arc sur le point de se rompre. Il devait savoir. Il ne pouvait plus rester ainsi, emprisonné dans la spirale de ses craintes. Serrant les poings et la mâchoire, son visage se durcit de résolution et il a traversa à grandes enjambées la distance qui le séparait de cette maudite porte. Mais au moment où ses doigts allaient agripper la poignée, celle-ci s’abaissa franchement et il manqua de rentrer en collision avec un homme entièrement vêtu de blanc. Il avait retiré ses gants et relevé ses manches mais on apercevait tout de même les amples taches carmines qui mouchetaient le tissu de sa blouse. A cette vision ensanglantée, l’homme sentit le sol se dérober sous ses pieds tandis qu’une certitude morbide s’emparait de lui. Tout était fini.

« Félicitation, Black, c’est une fille en parfaite santé ! Votre femme va bien, informa le médecin en donnant une tape amicale à son ami de longue date, elle a juste besoin de repos pour les jours à venir et tout ira pour le mieux. »

La chaleur de cette main posée sur son épaule se répandit peu à peu en Cygnus Black. Il releva alors les yeux sur le visage souriant de celui qui lui faisait face, le regardant d’un air hagard, incapable d’un autre sentiment que l’ahurissement. Et puis, lentement, la nouvelle annoncée fit son chemin dans son esprit : il était père. Il se précipita alors dans la chambre luxueuse où était étendue sa femme, se dirigeant aussitôt vers elle pour déposer un baiser sur son front humide. Elle lui rendit son sourire mais il voyait bien que tout cela l’avait éprouvé. Il voulu prononcer quelques paroles réconfortantes mais c’est à ce moment que la femme de chambre tendit vers lui une couverture de laquelle dépassait un petit crâne recouvert d’un duvet sombre. Il eut bien du mal à s’empêcher de trembler lorsqu’il se saisit du trésor entre ses bras. Elle était là, sous ses yeux, enfin. Sa fille.

« Comment la nommerez-vous, monsieur ? »

« Bellatrix, dit-il après un moment de réflexion, ému et fier à la fois, belle comme une étoile mais aussi impétueuse que l’orage qui la vit naître. »

Il n’avait pas encore idée d’à quel point il venait de nommer si justement sa fille, elle qui deviendrait la partisane la plus fidèle et la plus acharnée du Seigneur des Ténèbres. Au dehors, un éclair zébra le ciel alors que le bébé s’endormait.

~ Anything I want

Elle se sentait emplie de fierté et de supériorité. Oh, ce n’est pas comme si tout cela la surprenait mais avoir sous les yeux la preuve concrète et irréfutable de ce qu’elle avait toujours su au plus profond d’elle avait quelque chose d’excitant. Pourtant elle ne jeta qu’un regard très bref sur la lettre qu’elle tenait entre ses mains, et la rendit presque aussitôt à son père qui eut un éclat de rire face à l’assurance de son enfant. Bellatrix, toujours aussi sûre d’elle-même ! Ce matin, le hibou postal avait apporté entre ses griffes un morceau de parchemin pas tout à fait comme les autres. Druella Black avait haussé un sourcil en en reconnaissant le sceau et s’était alors empressée de grimper les premières marches de l’escalier pour appeler ses filles à descendre. Tout le monde s’était retrouvé dans le salon : Cygnus Black enfoncé dans le cuir d’un lourd fauteuil, la lettre décachetée dans une main, un verre de whiskey dans l’autre ; sa femme se tenant debout derrière lui avec la même satisfaction que la sienne peinte sur son visage ; et leurs trois filles au regard interrogateur. Puis la nouvelle était tombée. Cygnus continuait d’en rire ; ils venaient d’annoncer à leur aînée qu’elle avait été acceptée au sein de la célèbre école de Poudlard et cela ne semblait pas lui faire plus d’effet que lorsqu’ils lui avaient offert son premier balai pour enfant ! Ce qui était tout naturel pour une sang-pure comme elle. Après tout elle était la digne héritière de leur noble lignée, ils l’avaient éduqué dans les préceptes de rigueur prêchés par l’aristocratie et selon le dogme de la pureté qu’ils croyaient infaillible. Son admission n’avait donc rien d’une surprise ou d’une gratification, elle était tout simplement évidente ! Surtout lorsque l’on se rappelait comment les colères de Bellatrix déclenchaient déjà l’explosion de tout la vaisselle familiale alors qu’elle n’avait encore que trois ans. Il n’était pas difficile de l’imaginer faire des merveilles une fois qu’elle aurait la baguette à la main.

« Demain nous irons Chemin de Traverse pour t’acheter ce dont tu aura besoin, Bella. »

« D’accord, je peux retourner lire maintenant ? » demanda-t-elle comme si elle s’ennuyait et que toutes ces fadaises ne méritaient pas son attention plus longtemps.

La permission donnée, la jeune fille tourna les talons et aperçue alors les visages boudeurs de ses deux petites sœurs. Elles crevaient de jalousie, c’était évident. Bellatrix éclata alors de rire avant de leur lancer un clin d’œil aussi complice que provoquant par-dessus son épaule.

« Vous me rejoindrez bientôt, Cissy, Dromeda ! Sinon c’est moi qui vous mangerai ! »

~ Darkness on my shoudlers

Bellatrix eut une scolarité brillante. Tous ses professeurs s’accordèrent pour dire qu’elle ferait sûrement de grandes choses si elle persévérait dans ses efforts. Certains, malgré tout, pointèrent du doigt ses idéaux trop extrémistes qui l’avaient mené à quelques égards de conduite mais rien d’immensément alarmant. Après tout, les Serpentards étaient connus pour leur roublardise et leur manie de jouer des tours aux autres. Mais Bellatrix était plus que cela. Après sa scolarité elle épousa Rodolphus Lestrange sous la pression de ses parents. Un mariage qui manquait d’amour véritable mais qui assura la pérennité du sang des Black dans le plus grand respect de la pureté. Grâce à la richesse de sa famille elle n’eut pas besoin de chercher du travail en tout cas et, avec son mari, elle rejoignit alors directement les rangs d’un sorcier montant se faisant appeler Lord Voldemort. Déjà à l’époque elle embrassa sa cause de tout son cœur, vouant sa vie à propager ses idées et à assoir son autorité. Sa dévotion était telle qu’elle fut rapidement remarquée par le maître lui-même et devint son apprenti. Il ne lui rendit jamais l’amour évident qu’elle lui portait mais il lui apprit les secrets de la magie noire et de bien d’autres sorcelleries encore, faisant d’elle une sorcière redoutable en duel et capable de legilimencie ou d’occlumencie. Un atout indéniable lorsque vint la guerre car jusqu’au dernier moment elle revendiqua son allégeance à Voldemort et se tint impérialement face aux Détraqueurs qui l’emmenèrent à Azkaban. Jamais on ne devait plus entendre parler de Bellatrix Lestrange et de sa folie meurtrière.

~ Take me out

Le ciel grondait à n’en plus pouvoir, rempli d’immenses nuages noirs et tumescents comme s’ils avaient été des enveloppes de chair sur le point d’éclater. Il était là. Il était venu la chercher. Ses lèvres écorchées glissèrent le long de son bras brûlant, embrassant la marque ténébreuse gravée profondément dans sa chair. Après toutes ces années elle la sentait enfin se réveiller, onduler, témoigner de sa puissance et de son retour. Malgré la sécheresse qui lui tirait le visage et lui grattait la gorge, la mangemort se laissa submerger par l’émotion tandis que des larmes embuaient son regard. De son sourire finit alors par s’échapper un rire. Un rire froid, glacial, dénué de toute joie. Un rire qui vous flanquez des frissons désagréables le long de la colonne vertébrale. Au même moment un fracas gigantesque retentit dans le ciel, comme s’il venait de se fendre en deux, et un éclair tomba sur la muraille d’Azkaban. Le roc qui se tenait fièrement face à la mer depuis des décennies, impassible devant la fureur des vagues s’écrasant contre lui, venait de voler en éclats sous le regard inexpressif de ses gardiens. Une violente bourrasque de vent s’engouffra alors dans la cellule de Bellatrix et s’enroula autour d’elle. C’était comme si la main de son maître l’aidait à se relever et l’invitait à marcher vers la brèche ayant éventré les murs de sa prison. Il ne l’avait pas oublié, elle lui était restée fidèle jusqu’au bout et il n’avait pas oublié. Elle trébucha en escaladant l’éboulement de pierres, elle se coupa les pieds sur leur tranchant, elle râpa le bout de ses doigts en se rattrapant, mais rien de tout cela ne pouvait l’arrêter. Elle était libre. Elle allait vers lui. Son rire s’éleva à nouveau dans l’air alors qu’elle étendait les bras en croix au-dessus de l’océan déchaîné.

Elle était de retour.